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Qu’est-ce qu’une bonne thèse en sciences sociales ? Comment la construire au mieux, de la question de recherche à la rédaction, et comment gérer concrètement ce marathon ? Alors que les taux d’abandon sont élevés en doctorat de sciences humaines et sociales, Éric Pichet propose dans « L’Aventure de la thèse » (Les Éditions du Siècle) une méthodologie pour faire face aux principaux écueils qui se présentent et inventer sa propre stratégie. En voici un extrait.
La rédaction et la soutenance d’une thèse constituent l’aboutissement d’un marathon intellectuel (c’est le parcours de thèse) mais aussi physique, affectif et psychologique. La thèse est un monstre qu’il faut apprivoiser : il faut donc s’y préparer. Quand on interroge les doctorants, ils estiment globalement que leurs conditions de travail au quotidien sont bonnes, mais que la thèse et une source de stress pour 74 % d’entre eux, tout particulièrement pour ceux qui dépassent la 3ᵉ année de thèse, d’où l’intérêt de bien gérer son temps de thèse.
Une épreuve intellectuelle initiatique
« Comme le coureur de fond, le doctorant doit tenir la distance. Mais, à la différence du marathonien, personne n’a tracé pour lui de ligne d’arrivée. Le plus dur dans la thèse, c’est de finir. » (H. Lhérété, « La solitude du thésard de fond », Sciences humaines, octobre 2011)
C’est une épreuve personnelle, une épreuve d’endurance intellectuelle et physique, temps d’une métamorphose presque kafkaïenne, une évolution riche et dense permettant de passer de l’état d’étudiant à celui de chercheur, avec de nombreux écueils qui peuvent être dramatiques. Au vu des risques encourus et de l’investissement personnel du doctorant, il faut peser soigneusement les avantages et les inconvénients de l’aventure avant de se préparer à jouer parfois trois à cinq années de sa vie et de finir dans une impasse, se préparer financièrement, psychiquement, émotionnellement et familialement.
Un plan de travail doit être mis en œuvre : il consiste à fixer les différentes étapes du travail de recherche, ce qui n’est pas facile pour une première œuvre de chercheur. Il faut pêle-mêle définir les outils, concepts, démarches, documents, et identifier les tâches à accomplir ainsi que leur logique. En la matière, I. Pavlov donne 3 conseils : d’abord, apprendre à travailler graduellement, progressivement, en « apprenant l’ABC de la science avant de tenter d’en escalader le sommet, ensuite rester modeste : « ne pensez jamais que vous savez déjà tout » et enfin cultiver la passion de la recherche : « souvenez-vous que la science exige d’un homme toute sa vie, même avec deux vies, ce ne serait pas suffisant pour vous. Soyez passionné dans votre travail et vos recherches ».
Un marathon physique et psychique
« Le temps est le principal ennemi du doctorant. » (Le principal adage doctoral)
Voyage au long cours ou pèlerinage, la thèse est une épreuve d’endurance : il importe de bien s’y préparer et de mûrement réfléchir à son sens et à son utilité avant de se lancer. Une fois le candidat parti pour l’aventure, l’opiniâtreté est la clé de la réussite. Si le respect des échéances peut paraître contraignant, il est crucial car il libère les énergies par la contrainte qu’il exerce. C’est un paradoxe inhérent à l’activité intellectuelle que la réflexion (la phase de maturation qu’implique toute véritable recherche sur des problèmes complexes) demande du temps, mais qu’on n’y avance vraiment que sous le poids de l’urgence.
Même s’il n’y a que 24 heures dans une journée, il est essentiel de suivre une discipline rigoureuse, car la recherche tient de la course, et la thèse, de la course contre le temps. Mais c’est un très long marathon, pas un sprint : il faut profiter de la course, cultiver son sens de l’humour et une certaine distanciation vis-à-vis de l’objet de recherche, de sa démarche et de soi-même (par exemple en pensant aux visions, considérées maintenant comme totalement erronées, des grands chercheurs du passé), prendre soin de sa santé – forme physique, mais aussi santé psychologique – et cultiver son environnement affectif, familial et social.
Les deux dispositions antagonistes du doctorant
« Les chercheurs en sciences sociales sont au mieux des artistes, plus communément des artisans d’art. Ils doivent l’admettre avec humilité et orgueil. Et bien comprendre qu’ils font acte de création plutôt que de connaissance – ou plutôt que leur acte cognitif est indissolublement un acte créatif. » (J.-F. Bayart, « Faire des sciences sociales, un acte de création », EHESS, 2013)
Le doctorant doit faire preuve de rigueur mais également cultiver d’autres dimensions suivant en cela de P. Pitcher qui souligne trois grands types de qualités du chercheur à savoir celles de l’artiste, « audacieux, imaginatif, changeant, intuitif, imprévisible, émotif, inspirateur et drôle », du technocrate qui « travaille avec précision, sérieux, analytique cérébral, méthodique, intense, résolu » et enfin de l’artisan, « sage, honnête, direct, raisonnable, réaliste, responsable ».
Un projet de recherche doctorale comprend toujours deux phases qu’il n’est pas facile de distinguer : une première phase de découverte, faisant appel à l’intuition, inductive, non linéaire, et une seconde phase de validation des hypothèses, puis de présentation de la démarche et des résultats, passant du thème de recherche à l’état de l’art puis à la problématique – la question de recherche, les hypothèses et les résultats – phase qui est, quant à elle, linéaire. Mais il faut bien comprendre que la démarche de recherche proprement dite, qui aboutit à une présentation finale la plus claire et la plus ordonnée possible, n’est pas du tout claire et ordonnée avant.
Des qualités intuitives
« C’est à l’intuition que se dévoile et se révèle tout d’abord l’essence propre et véritable des choses, bien que d’une manière encore toute relative. Tous les concepts, toutes les idées, ne sont que des abstractions, c’est-à-dire des représentations partielles d’intuitions, dues à une simple élimination par la pensée. » (A. Schopenhauer, 1819)
C’est souvent sur des intuitions d’abord totalement irrationnelles et profondément paradoxales que reposent les grandes percées de la recherche fondamentale, selon un processus abductif d’ordre presque artistique ou qui, en tout cas, rapproche la science de l’art, l’imagination n’étant pas un obstacle épistémologique au progrès scientifique. Le doctorant doit donc être capable, dans le même temps, de douter, de s’interroger, de ne pas accepter l’évidence (l’important est de ne jamais cesser de questionner), de faire preuve d’imagination, d’échafauder des hypothèses – même les plus saugrenues –, ne pas censurer son imagination, de la cultiver et de faire preuve de rigueur. Le Research instinct, c’est cette capacité à démarrer un projet et à l’aborder sous tous les angles.
Où trouver l’inspiration ? On dit souvent que, lors des conférences scientifiques, les moments les plus importants sont les pauses-café qui permettent d’échanger sur les présentations auxquelles on a assisté, de discuter telle ou telle question. S. Balibar traduit ainsi son expérience de chercheur :
« On ne trouve pas en se précipitant, encore moins en s’agitant. On trouve parfois même autre chose, que ce que l’on cherche. Mieux vaut se concentrer, réfléchir, rêver même. Je m’arrête de courir la nuit, et c’est souvent là dans une demi-conscience, que les idées me viennent. Je me réveille et je me dis : “Tiens, je devrais essayer ça, c’est peut-être pas complètement idiot ?” Oh ! Traîner mène certainement à l’échec, mais s’obstiner à trouver est loin de suffire pour réussir.
On ne trouve pas par hasard mais pas non plus en ne pensant qu’à ce qu’on cherche. C’est un peu comme lorsqu’un nom m’échappe, celui de quelqu’un que je connais pourtant. Mais comment s’appelle-t-il, enfin ? Trois minutes plus tard, je pense à autre chose, je me détends… et ce nom me revient tout seul. J’en ai parlé à des chercheurs en neurosciences. L’explication semble liée à la complexité de l’organisation du cerveau. Voilà autre chose que j’aimerais bien comprendre un jour. »
Des qualités de rigueur
« Une patience impatiente : tel est le ressort de la recherche scientifique. » (J. Hamburger, La Croix, 23 janvier 2019)
Si les qualités intuitives déclenchent souvent une recherche ou initient des hypothèses, c’est la rigueur scientifique qui permet au chercheur d’échapper à ce que Montaigne qualifiait « d’ignorance que la science fait et engendre ». La rigueur scientifique commence avec la rigueur analytique qui doit être constamment présente à l’esprit du doctorant. Il faut par exemple vérifier soigneusement les sources, surtout dans la phase de revue de la littérature.
On s’inspirera de l’avertissement de E. Gibbon dans sa somme sur l’Empire romain : « Le soin et l’exactitude dans la recherche des faits sont le seul mérite dont un historien puisse se glorifier, si toutefois il y a quelque mérite à remplir un devoir indispensable. Il doit donc m’être permis de déclarer que j’ai soigneusement examiné toutes les sources premières propres à me fournir quelques éclaircissements sur le sujet que j’ai entrepris de traiter. »
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